Saltana Revista de literatura i traducció A Journal of Literature & Translation Revista de literatura y traducción Introducción
EL GENOCIDIO
Traducción de Elisa Acevedo Hernández
A la sixième question qui lui était posée : « Le gouvernement des États-Unis est-il coupable du crime de génocide à l'égard du peuple vietnamien ? », le « Tribunal international contre les crimes de guerre », réuni à Roskilde, Danemark, du 28 novembre au 1er décembre 1967, a répondu « oui » à l'unanimité. C'est Jean-Paul Sartre qui avait été chargé par le Tribunal de rédiger les motivations de cette réponse. Les voici :



El Tribunal Internacional sobre Crímenes de Guerra, reunido en Roskilde, Dinamarca, del 28 de noviembre al 1 de diciembre de 1967, respondió «sí» por unanimidad a la sexta pregunta que se le había planteado: «¿Es culpable el gobierno de los Estados Unidos de genocidio contra el pueblo vietnamita? El Tribunal encomendó a Jean-Paul Sartre la redacción de los fundamentos de la respuesta. Dichos fundamentos son los siguientes:
I

1 Le mot « génocide » n'existe pas depuis longtemps : c'est le juriste Lemkin qui l'a forgé entre les deux guerres mondiales. La chose est vieille comme l'humanité et il n'y a point eu, jusqu'ici, de société que sa structure ait préservée de commettre ce crime. Reste que tout génocide est un produit de l'histoire et qu'il porte la marque de la collectivité dont il est issu. Celui dont nous avons à juger est le fait de la plus grande puissance capitaliste du monde contemporain : c'est en tant que tel qu'il faut tenter d'en connaître — autrement dit en tant qu'il exprime à la fois les infrastructures économiques de cette puissance, ses buts politiques et les contradictions de la conjoncture présente.

2 En particulier nous devons tenter de comprendre ce qu'est l'intention de génocide dans la guerre que le gouvernement américain mène contre le Viêt-nam. L'article 2 de la Convention de 1948 définit en effet le génocide à partir de l'intention. La Convention se référait tacitement à des souvenirs tout frais : Hitler avait proclamé sa volonté délibérée d'exterminer les Juifs ; il faisait du génocide un moyen politique et ne s'en cachait pas. Le Juif devait être mis à mort d'où qu'il vienne, non pas pour avoir été pris les armes à la main ou pour être entré dans un mouvement de résistance mais bien parce qu'il était juif. Or le gouvernement américain s'est gardé de faire des proclamations si claires. Il a même prétendu qu'il volait au secours de ses alliés, les Vietnamiens du Sud, attaqués par les communistes du Nord. Nous est-il possible, en étudiant les faits, d'y découvrir objectivement cette intention passée sous silence? Et pouvons-nous, après cet examen, dire que les forces armées des U.S.A. tuent les Vietnamiens au Viêt-nam par la simple raison qu'ils sont Vietnamiens? C'est ce qu'on n'établira qu'après un bref historique : les structures de la guerre se transforment en même temps que les infrastructures de la société. Entre 1860 et nos jours le sens et les objectifs militaires ont profondément changé et l'aboutissement de cette métamorphose est précisément la guerre « exemplaire » que les États-Unis font au Viêt-nam. 1856 : convention pour préserver les biens des neutres ; 1864 : à Genève on tente de protéger les blessés ; 1899, 1907 à La Haye, deux conférences essayent de réglementer les conflits. Ce n'est pas un hasard si juristes et gouvernements multiplient les contacts pour « humaniser la guerre » à la veille des deux plus effroyables massacres que les hommes aient jamais connus. V. Dedijer a très bien montré dans son ouvrage On military conventions, que les sociétés capitalistes sont, pendant le même temps, en train d'accoucher de ce monstre : la guerre totale — qui les exprime dans leur vérité. Cela tient à ce que :

1° Les compétitions entre nations industrialisées, qui s'arrachent les nouveaux marchés, engendrent cette hostilité permanente qui se traduit dans la théorie et la pratique par ce qu'on nomme le « nationalisme bourgeois ».

2° Le développement de l'industrie, qui est à l'origine de ces antagonismes, donne le moyen de les résoudre au profit d'un des concurrents, en produisant des engins de plus en plus massivement meurtriers.

Le résultat de cette évolution, c'est qu'il devient de moins en moins possible de distinguer entre l'arrière et le front, entre la population civile et les combattants.

3° D'autant plus que de nouveaux objectifs militaires apparaissent — proches des villes — les fabriques qui, même quand elles ne travaillent pas pour l'armée, conservent au moins partiellement le potentiel économique du pays. Or la destruction de ce potentiel est justement le but du conflit et le moyen de le gagner.

4° Pour cette raison, tout le monde est mobilisé : le paysan se bat au front, l'ouvrier est un soldat de seconde ligne, les paysannes remplacent leurs hommes au champ. Dans l'effort total qui dresse une nation contre une autre, le travailleur tend à devenir combattant puisque, finalement, c'est la puissance économiquement la plus forte qui a le plus de chance de gagner.

5° Enfin l'évolution démocratique des pays bourgeois a pour effet d'intéresser les masses à la vie politique. Elles ne contrôlent pas les décisions du pouvoir et pourtant elles prennent peu à peu conscience d'elles-même. Quand un conflit éclate, elles ne s'y sentent plus étrangères. Repensé, souvent déformé par la propagande, il devient une détermination éthique de la communauté entière : en chaque nation belligérante, tous ou presque tous, après manipulation, sont les ennemis de tous les citoyens de l'autre. La guerre achève de se totaliser.

6° Ces mêmes sociétés en pleine croissance technologique ne cessent d'élargir le terrain de leurs compétitions en multipliant les moyens de communication. Le fameux « One World » des Américains existait déjà à la fin du XIXe siècle quand le blé argentin achève de ruiner les fermiers d'Angleterre. La guerre totale n'est plus seulement la guerre de tous les membres d'une communauté nationale contre tous ceux d'une autre : elle sera totale aussi parce qu'elle risque d'embraser la terre.

4 Ainsi la guerre des nations (bourgeoises) — dont le conflit de 1914 est le premier exemple, mais qui menaçait l'Europe depuis 1900 — n'est pas l'invention d'un homme ou d'un gouvernement, mais la simple nécessité d'un effort totalitaire qui s'impose, dès le début du siècle, à ceux qui veulent continuer la politique par d'autres moyens. En d'autres termes, l'option est claire : pas de guerre ou cette guerre-là. C'est celle-là que nos pères ont faite. Et les gouvernements — qui l'ont vu venir sans avoir l'intelligence ou le courage de l'éviter — ont essayé vainement de l'humaniser.

5 Pourtant en ce premier conflit mondial, l'intention génocide n'apparaît que sporadiquement. Il s'agit d'abord — comme aux siècles précédents — de briser la puissance militaire d'un pays même si le but profond est de ruiner son économie. Mais, s'il est vrai qu'on ne sait plus distinguer nettement les civils des soldats, il est rare — pour cette raison même — qu'on prenne, sauf quelques raids de terreur, la population nommément pour cible. Du reste les pays belligérants — au moins ceux qui mènent la guerre — sont des puissances industrielles, ce qui implique, au départ, un certain équilibre : chacun possède, touchant les exterminations possibles, une force de dissuasion, c'est-à-dire le pouvoir d'appliquer la loi du talion ; cela explique qu'on ait conservé, au sein du massacre, une sorte de prudence.


II

6  Pourtant, depuis 1830 et pendant tout le siècle dernier il y eut beaucoup de génocides hors d'Europe ; certains d'entre eux étaient l'expression de structures politiques autoritaires et les autres — ceux dont nous avons besoin pour comprendre les ascendances de l'impérialisme des U.S.A. et la nature de la guerre du Viêt-nam — trouvent leur origine dans les structures internes des démocraties capitalistes. Pour exporter des marchandises et des capitaux, les grandes puissances — en particulier l'Angleterre et la France — se constituent des empires coloniaux. Le nom dont les Français désignaient leurs « conquêtes » : possessions d'Outre-Mer, indique claire-ment qu'ils n'avaient pu les obtenir que par des guerres d'agression. On va chercher l'adversaire chez lui, en Afrique, en Asie, dans des contrées sous-développées et, loin de faire une « guerre totale », qui supposerait au départ une certaine réciprocité, on profite d'une supériorité d'armement absolue pour n'engager dans le conflit qu'un corps expéditionnaire. Celui-ci vient facilement à bout — s'il y en a — des armées régulières, mais comme cette agression sans prétexte provoque la haine des populations civiles, comme celles-ci sont des réserves d'insurgés ou de soldats, les troupes coloniales s'imposent par la terreur, c'est-à-dire par des massacres sans cesse renouvelés. Ces massacres ont un caractère de génocide : il s'agit de détruire « une partie du groupe » (ethnique, national, religieux) pour terroriser le reste et déstructurer la société indigène. Quand les Français, après avoir ensanglanté l'Algérie, au siècle dernier, imposèrent à cette société tribale — où chaque communauté possédait la terre indivise — l'usage du Code civil, qui donne les règles juridiques de la propriété bourgeoise et contraint à partager les héritages, ils ont systématiquement détruit l'infrastructure économique du pays et la terre est passée rapidement de ces tribus paysannes aux mains de marchands de biens venus de la Métropole. De fait la colonisation n'est pas une simple conquête — comme le fut en 1870 l'annexion par l'Allemagne de l'Alsace-Lorraine — ; c'est nécessairement un génocide culturel : on ne peut coloniser sans liquider systématiquement les traits particuliers de la société indigène tout en refusant à ses membres de s'intégrer à la Métropole et de bénéficier de ses avantages. Le Colonialisme est en effet un système : la colonie vend à des prix de faveur des matières premières et des denrées alimentaires à la puissance colonisatrice qui lui vend, en retour, au prix du marché mondial, des produits industriels. Cet étrange système d'échanges ne peut s'établir que si le travail est imposé à un sous-prolétariat colonial pour un salaire de famine. Il s'ensuit nécessairement que les colonisés perdent leur personnalité nationale, leur culture, leurs mœurs, parfois jusqu'à leur langue et vivent, dans la misère, comme des ombres à qui tout rappelle sans cesse leur « sous-humanité ».

7 Pourtant leur valeur de main d'œuvre presque gratuite les protège, dans une certaine mesure contre le génocide. Le Tribunal de Nuremberg allait naître, quand les Français, pour l'exemple, massacrèrent à Sétif soixante-dix mille Algériens. Nul ne s'avisa alors, tant la chose était courante, de juger notre gouvernement comme on allait juger les Nazis. Mais cette « destruction intentionnelle d'une partie du groupe national » ne pouvait s'amplifier sans nuire aux intérêts des colons. En exterminant ce sous-prolétariat, ils se fussent ruinés eux-mêmes. C'est faute de pouvoir liquider la population algérienne et, tout aussi bien, faute de pouvoir l'intégrer que les Français ont perdu la guerre d'Algérie.


III

8 Ces remarques nous permettent de comprendre que la structure des guerres coloniales s'est transformée après la fin de la seconde guerre mondiale. C'est vers cette époque, en effet, que les peuples colonisés, éclairés par ce conflit et ses incidences sur les « Empires », puis par la victoire de Mao Tsé-toung, se déterminèrent à reconquérir leur indépendance nationale. Les caractères de la lutte étaient tracés d'avance : les colons avaient la supériorité des armes, les colonisés celle du nombre. Même en Algérie — colonie de peuplement autant que d'exploitation — le rapport, sur ce plan, était de 1 à 9. Pendant les deux guerres mondiales, beaucoup de ceux-ci avaient appris le métier militaire et ils étaient devenus des combattants aguerris. Toutefois la rareté et la pauvreté — au moins au début — des armes exigeaient que les unités combattantes fussent en nombre restreint. Leur action était, elle aussi, dictée par ces conditions objectives : terrorisme, embuscades, harassement de l'ennemi donc mobilité extrême des groupes de combat qui devaient frapper à l'improviste et disparaître aussitôt : cela n'était possible qu'avec le concours de la population entière. De là cette fameuse symbiose des forces de libération et des masses populaires : celles-là organisant partout les réformes agraires, le pouvoir politique, l'enseignement ; celles-ci sou-tenant, nourrissant, cachant les soldats de l'armée libératrice et lui donnant ses jeunes gens pour combler lès pertes. Ce n'est pas un hasard si la guerre populaire apparaît, avec ses. principes, sa stratégie, sa tactique, ses théoriciens au moment où les puissances industrielles portent la guerre totale à l'absolu par la production industrielle de la fission de l'atome. Ce n'est pas un hasard non plus si elle a pour résultat la ruine du colonialisme. La contradiction qui a donné la victoire au F.L.N. algérien, nous la trouvons un peu partout à l'époque : en effet, la guerre populaire sonne le glas de la guerre classique (comme fait au même moment la bombe à hydrogène). Contre des partisans soutenus par la population entière, les armées coloniales ne peuvent rien. Elles n'ont qu'un moyen d'échapper au harcèlement qui les démoralise et risque de finir par un Dien-Bien-Phu, c'est de « supprimer l'eau du bocal », c'est-à-dire la population civile. De fait, les soldats de la Métropole apprennent bientôt à considérer comme leurs ennemis les plus redoutables ces paysans silencieux, têtus, qui à un kilomètre d'une embuscade, ne savent rien, n'ont rien vu. Et, puisque c'est l'unité de tout un peuple qui tient l'armée classique en échec, la seule stratégie anti-guerrilla qui paiera, c'est la destruction de ce peuple, autrement dit des civils, des femmes et des enfants. Torture et génocide : voilà la réponse des Métropoles au soulèvement des colonisés. Et cette réponse, nous le savons, ne vaut rien si elle n'est radicale et totale : cette population déterminée, unifiée par son armée de partisans, politisée, farouche, ne se laissera plus intimider, comme aux beaux temps du colonialisme, par un massacre « pour l'exemple ». Au contraire, on ne fera qu'augmenter sa haine : il ne s'agit donc plus d'effrayer mais de liquider physiquement un peuple. Et comme cela n'est pas possible sans liquider du même coup l'économie coloniale et par voie de correspondance directe tout le système colonial, les colons s'affolent, les Métropoles se lassent d'engloutir des hommes et de l'argent dans un conflit sans solution, les masses métropolitaines finissent par s'opposer à la continuation d'une guerre barbare, les colonies font place à des États souverains.


IV

9 Il existe cependant des cas où la réponse-génocide à la guerre populaire n'est pas freinée par des contradictions infrastructurelles. Le génocide total se dévoile alors comme le fondement absolu de la stratégie anti-guerrilla. Et, dans certaines circonstances, il peut même se présenter comme l'objectif à atteindre — immédiatement ou progressivement. C'est précisément ce qui se produit dans la guerre du Viêt-nam. Il s'agit d'un nouveau moment du processus impérialiste qu'on a coutume d'appeler néo-colonialisme parce qu'il se définit comme une agression contre un ancien pays colonisé ayant déjà obtenu son indépendance, pour le soumettre à nouveau à la règle coloniale. Au départ, on s'assure — par le financement d'un putsch ou par quelque autre mauvais coup — que les nouveaux dirigeants de l'État ne représenteront pas les intérêts des masses mais ceux d'une mince couche de privilégiés et, en conséquence, ceux du capital étranger. Au Viêt-nam ce sera l'apparition de Diem, imposé, entretenu, armé par les Etats-Unis, ce sera sa décision proclamée de rejeter les accords de Genève et de constituer le territoire vietnamien situé au sud du dix-septième parallèle, en État indépendant. La suite découle nécessairement de ces prémisses : il faut une police et une armée pourchassant partout les anciens combattants qui, frustrés de leur victoire, se désignent par là-même et avant toute résistance effective comme les ennemis du nouveau régime ; bref, c'est le règne de la terreur qui provoque un nouveau soulèvement au sud et rallume la guerre populaire. Les États-Unis ont-ils jamais cru que Diem écraserait la révolte dans l'œuf? En tout cas, ils ne tardent pas à envoyer des experts puis des troupes ; les voici engagés jusqu'au cou dans le conflit. Et nous retrouvons à peu de chose près le schéma de la guerre qu'Ho-Chi-Minh livrait aux Français, bien que le gouvernement américain déclare, au début, qu'il n'envoie ses troupes que par générosité et pour remplir ses devoirs envers un Allié.

10 Cela, c'est l'apparence. Mais à prendre les choses au fond, ces deux conflits successifs ont une différence de nature : les U.SA., au contraire des Français, n'ont pas d'intérêts économiques au Viêt-nam. Ou plutôt si : des entreprises privées qui ont fait quelques investissements. Mais ils ne sont pas si élevés qu'on ne puisse, le cas échéant, les sacrifier sans gêner la nation américaine dans son ensemble ni léser vraiment les monopoles. Aussi, le gouvernement des États-Unis, ne poursuivant pas le conflit pour des raisons d'ordre directement économiques, n'a pas à refuser d'y mettre fin par la stratégie absolue, c'est-à-dire par le génocide. Cela ne suffit pas, certes, à prouver qu'il l'envisage mais, simplement, que rien ne le retient de l'envisager.

11 En fait, d'après les Américains eux-mêmes, ce conflit vise deux objectifs. Tout récemment, Rusk a déclaré : nous nous défendons nous-même. Ce n'est plus Diem, l'allié en danger, ni Ky qu'on vient généreusement secourir : ce sont les États-Unis qui sont en danger à Saïgon. Cela signifie évidemment que leur premier but est militaire : il s'agit d'encercler la Chine communiste, obstacle majeur à leur expansionnisme. Donc, ils ne laisseront pas le Sud-Est asiatique leur échapper. Ils ont mis leurs hommes au pouvoir en la Thaïlande, ils contrôlent les deux tiers du Laos et menacent d'envahir le Cambodge. Mais ces conquêtes seront vaines s'ils trouvent en face d'eux un Viêt-nam libre et uni de trente-et-un millions d'hommes. C'est pourquoi les chefs militaires parlent volontiers de « position-clé » ; c'est pourquoi Dean Rusk dit, avec un comique involontaire que les forces armées des U.S.A. se battent au Viêt-nam « pour éviter une troisième guerre mondiale » ; ou cette phrase n'a pas de sens en effet, ou il faut comprendre : « pour la gagner ». Bref le premier objectif est commandé par la nécessité d'établir une ligne de défense du Pacifique. Nécessité qui ne peut d'ailleurs s'imposer que dans le cadre de la politique générale de l'impérialisme.

12 Le second objectif est économique. Le général Westmoreland l'a défini en ces termes, à la fin d'octobre dernier : « Nous faisons la guerre au Viêt-nam pour montrer que la guérrilla ne paie pas ». Pour le montrer à qui? Aux Vietnamiens eux-mêmes? Cela serait fort étonnant : faut-il dépenser tant de vies humaines et tant d'argent pour convaincre une nation de paysans pauvres qui lutte à des milliers de kilomètres de San Francisco? Et, surtout, quel besoin y avait-il de l'attaquer, de la provoquer à la lutte pour pouvoir ensuite l'écraser et montrer l'inanité de son combat, alors que les intérêts des grandes compagnies y sont à peu près négligeables. La phrase de Westmoreland — comme celle de Rusk citée plus haut — demande à être complétée. C'est aux autres qu'on veut prouver que la guérrilla n'est pas payante. A toutes les nations exploitées et opprimées qui pourraient être tentées de se délivrer du joug yankee par une guerre populaire, menée d'abord contre leur pseudo-gouvernement et les compradores soutenus par une armée nationale, puis contre les « forces spéciales » des États-Unis et finalement contre les G.I's. Bref, en tout premier lieu, à l'Amérique latine. Et, d'une manière plus générale, au Tiers Monde tout entier. A Guevara qui disait : « Il nous faut plusieurs Viêt-nam », le gouvernement américain répond : « Ils seront tous écrasés comme j'écrase celui-ci ». En d'autres termes, sa guerre, avant tout, a valeur d'exemple. Un exemple pour trois continents et peut-être pour quatre : après tout la Grèce aussi est une nation paysanne : on vient d'y mettre la dictature en place, il est bon de prévenir : soumission ou liquidation radicale. Ainsi, ce génocide exemplaire s'adresse à l'humanité entière, c'est par cet avertissement que 6 % des hommes espèrent parvenir sans trop de frais à contrôler les 94 % qui restent. Bien entendu, il serait préférable — pour la propagande — que les Vietnamiens se soumettent avant d'être anéantis. Encore n'est-ce pas sûr et, si le Viêt-nam était rayé de la carte, la situation serait plus claire : la soumission, on pourrait croire qu'elle est due à quelque défaillance évitable ; mais si ces paysans ne faiblissent pas un instant et s'ils paient leur héroïsme par une mort inévitable, les guerrillas encore à naître seront plus sûrement découragées. A ce point de notre démonstration, trois faits sont établis : ce que veut le gouvernement des États-Unis c'est une base et un exemple. Pour ateindre son premier objectif, il peut, sans autre difficulté que la résistance des Vietnamiens eux-mêmes, liquider tout un peuple et établir la Paix américaine sur un Viêt-nam désert ; pour atteindre le second, il doit réaliser — au moins partiellement — cette extermination.


V

13 Les déclarations des hommes d'État américains n'ont pas la franchise de celles que Hitler a faites en son temps. Mais c'est que celle-ci n'est pas indispensable : il suffit que les faits parlent ; les discours qui les accompagnent, ad usum internum, ne seront crus que par le peuple américain ; le reste du monde comprend fort bien : les gouvernements complices gardent le silence, les autres dénoncent le génocide mais on a beau jeu de leur répondre qu'il n'en a jamais été question et qu'ils montrent bien, par ces accusations sans preuves, leur parti pris. En vérité, dit le gouvernement américain, nous n'avons jamais fait que proposer aux Vietnamiens — Nord et Sud — cette option : ou vous cessez votre agression ou nous vous casserons. Il n'est plus besoin de faire remarquer que cette proposition est absurde puisque l'agression est américaine et que, conséquemment, les Américains peuvent seuls y mettre un terme. Et cette absurdité n'est pas sans calcul : il est habile de formuler sans en avoir l'air une exigence à laquelle les Vietnamiens ne puissent pas satisfaire. Ainsi l'on reste maître de décider l'arrêt des combats. Mais, quand même on traduirait : déclarez vous vaincus ou « nous vous ramènerons à l'âge de pierre », il n'en demeure pas moins que le second terme de l'alternative est le génocide. On a dit : génocide, oui, mais conditionnel. Est-ce juridiquement valable? est-ce même concevable?

14 Si l'argument avait un sens juridique, le gouvernement des États-Unis échapperait de justesse à l'accusation de génocide. Mais comme l'a fait remarquer Me Matarasso, le Droit, en distinguant l'intention des motifs, ne laisse pas de place à cet échappatoire : un génocide — surtout s'il est entrepris depuis plusieurs années — peut bien avoir pour motivation un chantage. On peut bien déclarer qu'on l'arrêtera si la victime se soumet, ce sont des motivations et l'acte n'en demeure pas moins — sans restriction possible — un génocide par l'intention. En particulier lorsque — comme c'est le cas — une partie du groupe a été anéantie pour contraindre ce qui reste à la soumission.

15 Mais regardons de plus près et voyons quels sont les termes de l'alternative. Au Sud, voici le choix : on brûle les villages, on soumet la population à des bombardements massifs et délibérément meurtriers, on tire sur le bétail, on détruit la végétation par des défoliants, on ruine les cultures par des épandages toxiques, on mitraille au hasard et partout, on tue, on viole, on pille : cela, c'est le génocide, au sens le plus rigoureux ; autrement dit : l'extermination massive. L'autre terme, qu'est-il? Que doit faire le peuple vietnamien pour échapper à cette mort atroce? Rejoindre les forces armées des U.S.A. ou de Saigon et se laisser enfermer dans des hameaux strategiques ou dans ces hameaux de la vie nouvelle qui ne diffèrent des premiers que par le nom, bref dans des camps de concentration. Nous les connaissons ces camps, par de nombreux témoignages : ils sont entourés de barbelés, les besoins les plus élémentaires n'y sont pas satisfaits : sous-alimentation, manque total d'hygiène ; les prisonniers s'entassent dans des tentes ou des réduits exigus où ils étouffent ; les structures sociales y sont détruites : les maris sont séparés de leurs femmes, les mères de leurs enfants, la vie familiale — si respectée par les Vietnamiens — n'existe plus ; comme les ménages sont disloqués, la natalité a baissé ; toute possibilité de vie religieuse ou culturelle est supprimée. Même le travail — le travail pour reproduire sa vie et celle des siens — leur est refusé. Ces malheureux ne sont même pas des esclaves : la condition servile n'a pa empêché une culture profonde chez les Noirs des États-Unis ; ici le groupe est réduit à l'état d'agrégat, à la pire vie végétative. Quand il veut en sortir, les liens qui se rétablissent entre ces hommes atomisés et ravagés de haine ne peuvent être que politiques : on se regroupe clandestinement pour résister. Cela, l'ennemi le devine. Résultat : ces camps eux-mêmes sont deux ou trois fois ratisses : même là, la sécurité n'est jamais acquise et les forces atomisantes s'exercent sans relâche. Si, par hasard, on libère une famille décapitée, des enfants avec une sœur plus âgée, ou une jeune mère, ils vont grossir le sous-prolétariat des grandes villes : la sœur aînée ou la mère, sans gagne-pain, avec des bouches à nourrir, achèvent la dégradation en se prostituant à l'ennemi. Ce que je viens de décrire et qui est au Sud le sort d'un tiers de la population, d'après le témoignage de M. Duncan, n'est qu'une autre sorte de génocide, également condamné par la Convention de 1948 :

« Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;

« Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

« Mesures tendant à entraver les naissances au sein du groupe;

«Transfert forcé d'enfants... »

16 En d'autres termes il n'est pas vrai que le choix porte sur la mort ou la soumission. Car la soumission elle-même, dans ces circonstances, est un génocide. Disons qu'il faut choisir entre la mort violente immédiate et la mort lente au terme d'une dégradation physique et mentale. Ou plutôt il n'y a pas de choix, il n'y a pas de condition à remplir : le hasard d'une « opération », parfois la terreur panique décident du type de génocide que chacun subira.

En est-il différemment au Nord?

17 D'un côté, c'est l'extermination : non seulement le risque quotidien de mort mais la destruction systématique des infrastructures économiques : depuis les digues jusqu'aux fabriques dont « il ne faut pas laisser pierre sur pierre ». Attaques délibérées contre la population civile et, en particulier, rurale. Destruction des hôpitaux, écoles, lieux du culte, effort soutenu pour abolir les réalisations de vingt ans de socialisme. Est-ce seulement pour terroriser la population? Mais cela ne peut s'obtenir que par l'extermination quotidienne d'une part croissante du groupe. Et puis ce terrorisme lui-même dans ses conséquences psycho-sociales est un génocide : qui sait si, chez les enfants, en particulier, il ne détermine pas des troubles mentaux, qui nuiront pour longtemps sinon pour toujours à leur intégrité?

18 L'autre terme, c'est la capitulation. Cela signifie qu'ils acceptent que leur pays soit coupé en deux et que la dictature des Américains, directement ou par personnes interposées, s'impose à leurs compatriotes, mieux à des membres de leur, famille dont la guerre les a séparés. Cette intolérable humiliation mettrait-elle fin à la guerre? Cela est loin d'être sûr : le F.N.L. et la R.D.V. bien que fraternellement unis ont une stratégie et une tactique différente parce que leurs situations dans la guerre sont différentes. Si le F.N.L. continuait la lutte, les bombardiers américains, en dépit de la capitulation de la R.D.V., continueraient de la ravager. Mais si la guerre devait cesser, nous savons — par des déclarations officielles — que les États-Unis se montreraient très géné-reusement disposés à fournir des montagnes de dollars pour la reconstruction de la R.D.V. Cela signifie très exactement qu'ils détruiraient, par des investissements privés, ou par des prêts conditionnels, toute la base économique du socialisme. Et cela aussi, c'est un génocide : on coupe en deux tronçons un pays souverain ; on occupe une des deux moitiés où l'on règne par la terreur, l'on ruine l'entreprise si chèrement payée de l'autre par une pression économique et, par le moyen d'investissements calculés, on le tient à sa botte ; le groupe national « Viêt-nam » n'est pas physiquement éliminé, pourtant il n'existe plus : on l'a économiquement, politiquement et culturellement supprimé.

19 Au Nord comme au Sud, il n'y a de choix qu'entre deux types d'abolition : la mort collective ou la désagrégation. Le plus significatif est que le gouvernement américain a pu éprouver la résistance du F.N.L. et de la R.D.V. : il sait que la destruction — à moins d'être totale — restera inefficace : le Front est plus puissant que jamais ; le Viêt-nam du Nord est inébranlable. Par cette raison même, l'extermination calculée du peuple vietnamien ne peut avoir pour but de le faire capituler : on lui offre la paix des braves en sachant qu'il ne l'acceptera pas ; et cette alternative de façade cache la véritable intention de l'impérialisme qui est d'arriver progressivement au suprême échelon de l'escalade, c'est-à-dire au génocide total. On voudra nous objecter que le gouvernement des U.S.A. aurait pu tenter d'y atteindre immédiatement et de nettoyer le Viêt-nam par un Blitzkrieg de tous ses Vietnamiens. Mais, outre que cette extermination suppose la mise en place d'un dispositif compliqué — et, par exemple, la création et la libre disposition en Thaïlande de bases aériennes raccourcissant de cinq mille kilomètres le parcours des bombardiers — le but essentiel de l' « escalade » était et reste, à ce jour, de préparer au génocide l'opinion bourgeoise. De ce point de vue, les Américains n'ont que trop bien réussi : les bombardements répétés et systématiques des quartiers populeux, de Haïphong et de Hanoï qui auraient, il y a deux ans, soulevé de violentes protestations, ont lieu aujourd'hui dans une sorte d'indifférence générale qui relève du tétanos plus que de l'apathie. Le tour est joué : l'opinion prend pour une pression doucement et continûment accrue ce qui est, en réalité, une préparation des esprits au génocide final. Ce génocide est-il possible? Non. Mais cela dépend des Vietnamiens et d'eux seuls, de leur courage, de l'admirable efficacité de leurs organisations. En ce qui concerne le gouvernement des États-Unis nul ne peut le décharger de son crime sous prétexte que l'intelligence et l'héroïsme de sa victime permettent d'en limiter les effets. On peut conclure : devant une guerre populaire, produit de notre époque, réponse à l'agression impérialiste et revendication de souveraineté chez un peuple conscient de son unité, deux attitudes sont possibles : l'agresseur se retire, il fait la paix en reconnaissant qu'une nation tout entière se dresse contre lui ; ou bien, conscient de l'inefficacité de la stratégie classique, il recourt, s'il le peut sans léser ses intérêts, à l'extermination pure et simple. Il n'y a pas d'autre choix ; mais ce choix, du moins, est toujours possible. Puisque les forces armées des U.S.A. s'incrustent au Viêt-nam, puisqu'elles intensifient bombardements et massacres, puisqu'elles tentent d'assujettir le Laos et projettent d'envahir le Cambodge alors qu'elles peuvent se retirer, il ne fait pas de doute que le gouvernement des États-Unis, malgré ses dénégations hypocrites, a opté pour le génocide.


VI

20 L'intention se dégage des faits. Et, comme l'a dit M. Aybar, elle est nécessairement préméditée. Il se peut que, dans d'autres temps, le génocide ait été réalisé brusquement, dans un coup de passion, au cours de luttes tribales ou féodales : le génocide anti-guerrilla, produit de notre époque, suppose une organisation, des bases donc des complicités (il n'a lieu qu'à distance), un budget approprié : il faut donc qu'on y ait réfléchi et que l'on ait planifié. Cela signifie-t-il que ses auteurs aient pris clairement conscience de leur volonté? On ne peut en décider : il faudrait sonder les reins et la mauvaise foi puritaine fait des miracles. Peut-être certains collaborateurs du State Department sont-ils si habitués à se mentir qu'ils parviennent encore à s'imaginer qu'ils veulent le bien du Viêt-nam. Après les récentes déclarations de leurs porte-parole, on peut supposer que ces faux naïfs sont de moins en moins nombreux : c'est nous que nous défendons ; même si le gouvernement de Saigon nous en priait, nous ne quitterions pas le Viêt-nam etc. De toute façon, nous n'avons pas à nous soucier de ce cache-cache psychologique. La vérité se trouve sur le terrain, dans le racisme des combattants américains. Certes, ce racisme — anti-noir, anti-asiatique, anti-mexicain — est une donnée fondamentale qui a des origines profondes et qui existait, latent ou actuel, bien avant le conflit vietnamien. La preuve en est que le gouvernement des États-Unis a refusé de ratifier la Convention contre le génocide : ce qui ne signifie pas qu'il avait, dès 1948, l'intention d'exterminer les peuples mais — selon ses propres déclarations — que cet engagement aurait contesté la législation interne de nombreux Etats fédérés. Autrement dit — car tout se tient -— les dirigeants actuels pensent avoir les mains libres au Viêt-nam parce que leurs prédécesseurs ont voulu ménager le racisme anti-noir des blancs du sud. Quoi qu'il en soit, depuis 1965, le racisme des soldats yankees, de Saigon au 17e parallèle, s'exaspère : les jeunes Américains torturent, ils usent sans répugnance du téléphone de campagne, ils tirent sur des femmes désarmées pour le plaisir de faire un carton, ils frappent à coup de pied les blessés vietnamiens dans les testicules, ils coupent les oreilles des morts pour s'en faire des trophées. Les officiers sont pires : un général se vantait — devant un Français qui en a témoigné au Tribunal — de faire la chasse aux Vici du haut de son hélicoptère et de les tirer au fusil, dans les rizières. Il s'agissait, bien entendu, non pas de combattants du F.N.L., qui savent se protéger, mais de paysans qui cultivaient leur riz. De plus en plus, dans ces esprits confus, le « Vietcong » et le Vietnamien tendent à se confondre. Et l'on dit communément : « Il n'y a de bon Vietnamien que mort ». Ou, ce qui est l'inverse mais qui revient au même : « Tout Vietnamien mort est un Vietcong. » Des paysans se préparent à faire la récolte du riz au sud du 17e parallèle. Surviennent des soldats américains qui incendient leurs maisons et veulent les transférer dans un hameau stratégique. Les paysans protestent. Que peuvent-ils faire d'autre, à mains nues contre ces Martiens. Ils disent : « Le riz est si beau ; nous voulons rester pour manger notre riz. » Rien de plus : et cela suffit pour exaspérer les jeunes Yankees : « Ce sont les Vietcongs qui vous ont mis ça dans la tête. Ce sont eux qui vous ont appris à résister ». Ces soldats ont l'esprit à ce point égaré qu'ils prennent pour une violence « subversive » les faibles réclamations que leur propre violence a suscitées. A l'origine de cela, il y a sans doute une déception : ils venaient pour sauver le Viêt-nam, pour le libérer des agresseurs communistes ; ils s'aperçoivent bientôt que les Vietnamiens ne les aiment pas ; du rôle seyant de libérateur, ils passent à celui d'occupant. C'est comme un début de prise de conscience : on ne veut pas de nous, nous n'avons rien à faire ici. Mais la contestation ne va pas plus loin : ils enragent et se disent tout simplement qu'un Vietnamien est, par définition, un suspect. Et c'est vrai, du point de vue des néo-colonialistes : ils comprennent vaguement que, dans la guerre populaire, les civils sont les seuls ennemis visibles. Du coup, ils se mettent à les détester ; le racisme fait le reste : ces hommes qu'on prétendait sauver, on découvre avec une joie rageuse qu'on est là pour les tuer. Il n'en est pas un seul qui ne soit communiste en puissance : la preuve en est qu'ils haïssent les Yankees. A partir de là, nous retrouvons dans ces âmes obscures et téléguidées la vérité de la guerre du Viêt-nam : elle rejoint les déclarations de Hitler. Celui-ci tuait les Juifs parce qu'ils étaient juifs. Les forces armées des U.S.A. torturent et tuent hommes, femmes et enfants du Viêt-nam parce qu'ils sont Vietnamiens. Ainsi, quels que soient les mensonges et les précautions verbales du gouvernement, l'esprit du génocide est dans la tête des soldats. Et c'est leur manière de vivre la situation de génocide dans laquelle le gouvernement les a jetés. Le témoin Martinsen, un jeune étudiant de vingt-trois ans qui avait « interrogé » pendant dix mois des prisonniers et qui ne supportait pas ses souvenirs nous a dit : « Je suis un Américain moyen, je ressemble à tous les étudiants et voilà que je suis un criminel de guerre. » Et il avait raison d'ajouter : « N'importe qui serait devenu comme moi, à ma place. » Sa seule erreur était d'attribuer ses crimes dégradants à l'influence de la guerre, en général. Non : pas de la guerre abstraite et non située, mais de cette guerre, menée par la plus grande puissance contre un peuple de paysans pauvres et qui se fait vivre par ceux qui la font comme l'unique relation possible entre un pays surindustrialisé et un pays sous-développé, c'est-à-dire comme une relation de génocide qui s'exprime à travers le racisme. L'unique relation — à moins de couper court et de s'en aller.

21 La guerre totale suppose un certain équilibre des forces, une certaine réciprocité. Les guerres coloniales se menaient sans réciprocité, mais l'intérêt colonial limitait les génocides. Le génocide présent, dernier résultat du développement inégal des sociétés, c'est la guerre totale menée jusqu'au bout d'un seul côté et sans la moindre réciprocité.

22 Le gouvernement américain n'est pas coupable d'avoir inventé le génocide moderne, pas même de l'avoir sélectionné, de l'avoir choisi au milieu d'autres ripostes possibles et efficaces à la guerrilla. Il n'est pas coupable — par exemple— de lui avoir donné sa préférence pour des motifs de stratégie ou d'économie. De fait, le génocide se propose comme la seule réaction possible à l'insurrection de tout un peuple contre ses oppresseurs ; le gouvernement américain est coupable d'avoir préféré, de préférer encore une politique d'agression et de guerre, visant au génocide total, à une politique de paix, la seule qui soit de rechange, parce qu'elle eût nécessairement impliqué la reconsidération des objectifs principaux que lui imposent les grandes compagnies impérialistes par l'intermédiaire de leurs groupes de pression. Il est coupable de poursuivre et d'intensifier la guerre, bien que chacun de ses membres comprenne chaque jour plus profondément par les rapports des chefs militaires, que le seul moyen de vaincre est de « libérer » le Viêt-nam de tous les Vietnamiens. Il est coupable, rusant, biaisant, mentant et se mentant, de s'engager à chaque minute un peu plus, malgré les enseignements de cette expérience unique et insupportable, sur une voie qui le mène au point de non-retour. Il est coupable, selon son propre aveu, de conduire sciemment cette guerre exemplaire pour faire du génocide un défi et une menace pour tous les peuples. Nous avons vu qu'un des facteurs de la guerre totale a été l'accroissement constant du nombre et de la vitesse des moyens de transport : dès 1914, la guerre ne peut plus rester localisée, il faut qu'elle s'étende au monde. En 1967 le processus s'intensifie, les liens du one world, cet univers auquel les États-Unis veulent imposer leur hégémonie, ne cessent de se resserrer. Par cette raison, dont le gouvernement américain a parfaitement conscience, le génocide actuel — comme riposte à la guerre populaire — est conçu et perpétré au Viêt-nam non point contre les seuls Vietnamiens mais contre l'humanité. Quand un paysan tombe dans sa rizière, fauché par une mitrailleuse, nous sommes tous frappés en sa personne. Ainsi les Vietnamiens se battent pour tous les hommes et les forces américaines contre tous. Non point au figuré ni dans l'abstrait. Et pas seulement parce que le génocide serait au Viêt-nam un crime universellement condamné par le droit des gens. Mais parce que, peu à peu, le chantage génocidal s'étend à tout le genre humain, en s'appuyant sur le chantage à la guerre atomique, c'est-à-dire à l'absolu de la guerre totale, et parce que ce crime, accompli tous lès jours sous tous les yeux, fait de tous ceux qui ne le dénoncent pas les complices de ceux qui le commettent et, pour mieux nous asservir, commence par nous dégrader. En ce sens, le génocide impérialiste ne peut que se radicaliser : car le groupe qu'on veut atteindre et terroriser, à travers la nation vietnamienne, c'est le groupe humain en entier.
I

1 La palabra «genocidio» existe desde hace poco tiempo: la acuñó el jurista Lemkin entre las dos guerras mundiales. La cosa es vieja como la humanidad y jamás ha existido una sociedad cuya estructura haya evitado que se cometa tal crimen. Todo genocidio es un producto de la historia y lleva la impronta de la colectividad de la que emana. El que tenemos que juzgar aquí es obra de la mayor potencia capitalista del mundo contemporáneo: en tanto que tal debemos intentar considerarla; dicho de otra forma, en tanto que expresa a la vez las infraestructuras económicas de dicha potencia, sus objetivos políticos y las contradicciones de la actual coyuntura.

2 En particular, debemos tratar de entender qué es la intención de genocidio en la guerra que el gobierno estadounidense está librando contra Vietnam. El artículo 2 del Convenio de 1948 define el genocidio a partir de la intención. El Convenio se refería de forma tácita a ciertos acontecimientos ocurridos poco tiempo antes: Hitler había proclamado su voluntad deliberada de exterminar a los judíos; hizo del genocidio una herramienta política y ni siquiera se molestó en ocultarlo. El judío tenía que ser ejecutado con independencia de su origen, no porque se hubiese levantado en armas o se hubiese unido a un movimiento de resistencia, sino simplemente porque era judío. Ahora bien, el gobierno de los Estados Unidos se ha abstenido de proclamarlo tan abiertamente. Ha llegado a afirmar incluso que acudía en ayuda de sus aliados, los vietnamitas del sur, atacados por los comunistas del norte. ¿Nos resulta posible encontrar objetivamente esa intención oculta al estudiar los hechos? Y, tras ese examen, ¿podemos afirmar que las fuerzas armadas de los Estados Unidos están matando en Vietnam a los vietnamitas por el mero hecho de ser vietnamitas? Sólo podremos determinarlo tras un breve repaso histórico: las estructuras de la guerra se transforman al mismo tiempo que las de la sociedad. Entre 1860 y la actualidad, el sentido y los objetivos militares han cambiado de modo profundo y el resultado ha sido precisamente la guerra «ejemplar» que los Estados Unidos sostienen en Vietnam. 1856: tratado para preservar los bienes de los países neutrales. 1864: en Ginebra se intenta proteger a los heridos. 1899 y 1907: en La Haya dos conferencias tienen por objeto la regulación de los conflictos. No es mera casualidad que juristas y gobiernos multipliquen los esfuerzos para «humanizar» la guerra en vísperas de las dos matanzas más espantosas que haya conocido el ser humano. V. Dedijer ha expuesto a la perfección en su obra On Military Conventions que las sociedades capitalistas están engendrando al mismo tiempo este monstruo: la guerra total, que expresa su verdadera naturaleza. Esto obedece a que:

1º La competencia entre las naciones industrializadas por los nuevos mercados acarrea una hostilidad permanente que se traduce en la teoría y en la práctica por lo que se conoce como «nacionalismo burgués».

2º El desarrollo de la industria, que es la causa de tales antagonismos, permite que éstos se resuelvan a favor de uno de los concurrentes al producir armas cada vez más masivamente letales.

El resultado de esta evolución es que cada vez resulta más difícil distinguir entre la retaguardia y la vanguardia, entre la población civil y los combatientes.

3º Más aun cuando aparecen nuevos objetivos militares próximos a las ciudades: las fábricas que, aunque no trabajen para el ejército, custodian, al menos en parte, el potencial económico del país. Por lo tanto, el objetivo del conflicto y el medio para ganarlo es precisamente la destrucción de ese potencial.

4º Por esta razón ha habido una movilización generalizada: el campesino se bate en el frente, el obrero es un soldado de segunda línea, las campesinas sustituyen a los hombres en el campo. En este esfuerzo total que enfrenta a una nación contra otra, el trabajador tiende a convertirse en combatiente, puesto que al final la potencia económica más fuerte es la que tiene más opciones de ganar.

5º Por último, la evolución democrática de los países burgueses da lugar a que las masas se interesen por la vida política. A pesar de que no controlan las decisiones del poder, adquieren poco a poco conciencia de sí mismas. Cuando estalla un conflicto, dejan de sentirse ajenas a él. Repensado, deformado a menudo por la propaganda, resulta ser una determinación ética para toda la comunidad: en cada nación beligerante todos o casi todos se convierten, tras la manipulación, en enemigos de los ciudadanos de la otra. La guerra se vuelve total.

6º Estas mismas sociedades en pleno crecimiento tecnológico no cesan de ampliar el terreno de sus competiciones multiplicando los medios de comunicación. El famoso One World de los estadounidenses existía ya a finales del siglo XIX, cuando el trigo argentino termina de arruinar a los granjeros de Inglaterra. La guerra total no es ya sólo la guerra de todos los miembros de una comunidad nacional contra todos los de otra, también es total porque puede abarcar todo el planeta.

4 Por lo tanto, la guerra de las naciones (burguesas) —cuyo primer ejemplo es el conflicto de 1914, pero que amenazaba Europa desde 1900— no es producto de la invención de un hombre o un gobierno, sino la simple necesidad de un esfuerzo totalitario que se impone, desde principios de siglo, a quienes quieren continuar la política por otros medios. En otras palabras, la opción es clara: o no hay guerra o hay guerra total. Esta última es la que hicieron nuestros padres. Y los gobiernos —que la vieron venir, pero no tuvieron la inteligencia o el valor de impedirla— intentaron en vano humanizarla.

5 Sin embargo, en ese primer conflicto mundial la intención de genocidio sólo está presente de forma esporádica. Se trata primero —al igual que en los siglos precedentes— de quebrantar el poder militar de un país, aun cuando el objetivo último sea el de arruinar su economía. Pero, si bien es cierto que ya no es posible distinguir claramente los civiles de los soldados, por la misma razón resulta extraño —excepto en algunas incursiones de aterrorización— que se señale expresamente a la población como blanco. Por lo demás, los países beligerantes —al menos los que dirigen la guerra— son potencias industriales, lo que conlleva, en principio, cierto equilibrio: cada uno posee, en lo que respecta a posibles exterminios, una fuerza de disuasión, o lo que es lo mismo, el poder de aplicar la ley del talión; ello explica que incluso en plena matanza se haya observado una especie de prudencia.



II

6 Sin embargo, a partir de 1830 y a lo largo de todo el siglo pasado, hubo muchos genocidios fuera de Europa, algunos de ellos fueron expresión de estructuras políticas autoritarias y los otros —que resultan indispensables para comprender las ascendencias del imperialismo de los Estados Unidos y la naturaleza de la guerra de Vietnam— tuvieron su origen en la estructura interna de las democracias capitalistas. Con vistas a exportar mercancías y capitales, las grandes potencias, en particular Inglaterra y Francia, fundaron sendos imperios coloniales. El nombre con el que los franceses designaron a sus «conquistas», posesiones de ultramar, nos permite entrever que solo pudieron hacerse con ellas a través de guerras de agresión. Se va a buscar al adversario en su propio territorio —en África, en Asia, en tierras subdesarrolladas— y, lejos de hacer una «guerra total», que podría dar lugar en principio a cierta reciprocidad, aprovecha uno la superioridad armamentística absoluta para involucrar sólo en el conflicto a un cuerpo expedicionario. Éste acaba fácilmente con los ejércitos regulares —si es que existen—, pero como esa agresión sin pretexto provoca el odio entre las poblaciones civiles, como éstas constituyen reservas de insurgentes o soldados, las tropas coloniales se imponen por el terror, es decir, por matanzas siempre renovadas. Estas matanzas tienen un carácter de genocidio: se trata de destruir «una parte del grupo» (étnico, nacional o religioso) para aterrorizar al resto y desestructurar la sociedad indígena. Cuando después de haber ensangrentado Argelia en el siglo pasado los franceses impusieron a esa sociedad tribal —en la que cada comunidad poseía la tierra indivisa— el uso del Código Civil francés, que suministra las normas reguladoras de la propiedad burguesa y obliga a realizar la partición de la herencia, destruyeron sistemáticamente la base económica del país y la tierra enseguida pasó de las tribus campesinas a manos de los comerciantes procedentes de la metrópoli. De hecho, la colonización no es una simple conquista —como fue en 1870 la anexión alemana de Alsacia-Lorena—, es necesariamente un genocidio cultural: no se puede colonizar sin liquidar de modo sistemático los rasgos identificativos de la sociedad indígena al tiempo que se niega a sus miembros la integración en la metrópoli y el beneficio de sus ventajas. El colonialismo es, en efecto, un sistema: la colonia vende a precios de favor materias primas y productos alimenticios a la potencia colonizadora y ésta a su vez le vende productos industriales a precios del mercado mundial. Este sorprendente sistema de intercambio sólo puede implantarse si el trabajo se impone al subproletariado colonial a cambio de un salario de hambre. De ello se sigue de modo necesario que los pueblos colonizados pierden su personalidad nacional, su cultura, sus costumbres, a veces hasta su lengua, y viven en la miseria como sombras a las que todo recuerda sin cesar su «infrahumanidad».

7 No obstante, su valor como mano de obra casi gratuita los protege, en cierta medida, contra el genocidio. El Tribunal de Núremberg estaba a punto de constituirse cuando los franceses —por poner un ejemplo— mataron a setenta mil argelinos en Sétif. A nadie se le ocurrió entonces —dado lo habitual del caso— juzgar a nuestro gobierno como se iba a juzgar a los nazis. Pero esta «destrucción intencionada de una parte del grupo nacional» no podía intensificarse sin perjudicar los intereses de los colonos. Exterminando a ese subproletariado, se habrían arruinado a sí mismos. Los franceses perdieron la guerra de Argelia por no poder liquidar a la población argelina ni poder tampoco de integrarla.


III

8 Estas observaciones nos permiten comprender que la estructura de las guerras coloniales se transformó después del final de la Segunda Guerra Mundial. Más o menos en esa época, los pueblos colonizados, ilustrados por el conflicto y su incidencia en los «imperios», así como por la victoria de Mao Zedong, se decidieron a reconquistar su independencia nacional. Los rasgos de la lucha estaban trazados de antemano: los colonos eran superiores en armas, los nativos en número. Incluso en Argelia —colonia de poblamiento tanto como de explotación— la relación en ese sentido era de 1 a 9. Durante las dos guerras mundiales, muchos nativos habían aprendido el oficio militar y se habían convertido en soldados aguerridos. Sin embargo, la escasez y el estado —al menos en principio— de las armas, exigieron que el número de unidades de combate fuera limitado. Asimismo, su lucha se regía por los siguientes condicionantes objetivos: terrorismo, emboscadas, hostigamiento al enemigo y, por tanto, movilidad extrema de los grupos de combate, que debían asaltar al enemigo de improviso y desaparecer en el acto. Algo sólo posible con el concurso de toda la población. De ahí la conocida simbiosis entre las fuerzas de liberación y las masas: las primeras organizando en todas las partes reformas agrarias, el poder político y la educación; y las segundas, apoyando, alimentando, escondiendo a los soldados y entregándoles a sus jóvenes para compensar las pérdidas humanas. No es casualidad que la guerra popular aparezca, junto con sus principios, estrategias, tácticas y teóricos, justo cuando las potencias industriales llevan la guerra total a su expresión absoluta con la producción de energía a partir de la fisión del átomo. Tampoco es casualidad que tenga como resultado la ruina del colonialismo. Encontramos un poco por todas partes en esa época la contradicción que ha dado la victoria al FLN; en efecto, la guerra popular anuncia el fin de la guerra clásica (como hace al mismo tiempo la bomba de hidrógeno). Contra unos guerrilleros respaldados por la población entera, nada pueden los ejércitos coloniales. Sólo tienen un medio de escapar al hostigamiento que desmoraliza y corre el riesgo de convertirse en un Dien Bien Fu: «suprimir el agua de la pecera», es decir, la población civil. De hecho, los soldados de la metrópoli no tardan en considerar como sus enemigos más temibles a esos campesinos silenciosos, testarudos, que a un kilómetro de una emboscada no saben nada, no han visto nada. Y, puesto que la unidad de todo un pueblo mantiene en jaque al ejército clásico, la única estrategia antiguerrilla que funciona es la destrucción de ese pueblo, esto es, de los civiles, las mujeres y los niños. Tortura y genocidio: ésa es la respuesta de las metrópolis al levantamiento de los colonizados. Y tal respuesta, como sabemos, resulta inútil si no es radical y total: una población determinada, unida por su ejército de guerrilleros, politizada y feroz, ya no se dejará intimidar, como en los buenos tiempos del colonialismo, con una matanza «ejemplarizante». Al contrario, con ello sólo se conseguirá aumentar su odio: ya no se trata, pues, de asustar a un pueblo, sino de liquidarlo físicamente. Y como esto no es posible sin destruir al mismo tiempo la economía colonial y por extensión el sistema colonial, los colonos se atemorizan, las metrópolis se cansan de perder hombres y dinero en un conflicto sin solución, las masas metropolitanas acaban por oponerse a la prolongación de una guerra bárbara, las colonias se convierten en Estados soberanos.


IV

9 Sin embargo, hay algunos casos en que las contradicciones intrínsecas no ponen freno a la respuesta-genocidio a la guerra popular. El genocidio total se revela entonces como el fundamento absoluto de la estrategia antiguerrilla. Y bajo ciertas circunstancias puede incluso presentarse como el objetivo que debe alcanzarse, de forma inmediata o progresiva. Es justo lo que ocurre en la guerra de Vietnam. Se trata de una nueva etapa del proceso imperialista que solemos denominar neocolonialismo, porque se define como la agresión a un país anteriormente colonizado, que ya ha obtenido su independencia, con el fin de someterlo de nuevo a la dominación colonial. Al principio se asegura —mediante la financiación de un golpe militar o cualquier otra estratagema— que los nuevos dirigentes del Estado no representen los intereses de las masas, sino los de una delgada capa de privilegiados y, por consiguiente, los del capital extranjero. En Vietnam esto se vio reflejado en la aparición de Diem, impuesto, mantenido y armado por los Estados Unidos; en su decisión proclamada de rechazar los acuerdos de Ginebra y constituir el territorio vietnamita situado al sur del paralelo 17 en Estado independiente. El resto se deduce de manera necesaria de esas premisas: hace falta una policía y un ejército para perseguir a los antiguos guerrilleros que, privados de su victoria, son designados por ello mismo y antes de cualquier resistencia efectiva como los enemigos del nuevo régimen; en conclusión, el reinado del terror provoca un nuevo levantamiento en el sur y reaviva la guerra popular. ¿Han creído los Estados Unidos alguna vez que Diem lograría aplastar la revuelta de raíz? En cualquier caso, no tardaron en enviar expertos, luego tropas y hoy están implicados hasta el cuello en el conflicto. Y encontramos con escasas variaciones el esquema de la guerra que Ho Chi Minh libró contra los franceses, a pesar de que el gobierno estadounidense declarase al principio que sólo enviaba tropas por generosidad y para cumplir sus deberes con un aliado.

10 Eso, por lo que hace a las apariencias. Sin embargo, el fondo, la naturaleza de estos dos conflictos sucesivos no es la misma: los Estados Unidos, a diferencia de los franceses, no tienen intereses económicos en Vietnam. O mejor dicho, sí que los tienen: varias empresas privadas han invertido en el país. Pero la importancia de esas inversiones es relativa; así que, llegado el caso, podrían sacrificarse sin afectar a la nación estadounidense en su conjunto o sin perjudicar los monopolios. Asimismo, como el gobierno de los Estados Unidos no participa en el conflicto por razones de orden directamente económicas, no tiene por qué descartar la opción de ponerle fin mediante la estrategia absoluta, es decir, el genocidio. Estos datos no bastan, en efecto, para demostrar que lo contempla, sino que nada le impide contemplarlo.

11 De hecho, según los propios estadounidenses, el conflicto persigue dos objetivos. El secretario de Estado Deán Rusk declaró hace poco: nos defendemos a nosotros mismos. Ya no es cuestión de ayudar a Diem, el aliado en peligro, ni de socorrer generosamente a Cao Ky; ahora son los Estados Unidos quienes corren peligro en Saigón. Eso significa, claro está, que el primer objetivo es militar: se trata de rodear la China comunista, obstáculo mayor para su expansionismo. En consecuencia, no van a dejar que se les escape el sudeste asiático. Colocaron a sus hombres en el poder en Tailandia, controlan dos tercios de Laos y amenazan con invadir Camboya. Pero todas esas conquistas no sirven para nada, si al final se encuentran frente a un Vietnam libre y unido de treinta y un millones de personas. Por eso los jefes militares hablan a menudo de «posición clave». Por eso Rusk afirma con involuntaria comicidad que el ejército de los Estados Unidos está luchando en Vietnam «para evitar una tercera guerra mundial». O esta frase no tiene ningún sentido, o hay que entenderla del siguiente modo: «para ganarla». En resumidas cuentas, el primer objetivo está regido por la necesidad de establecer una línea de defensa del Pacífico. Necesidad que, por otra parte, sólo puede imponerse en el marco de la política general del imperialismo.

12 El segundo objetivo es económico. A finales de octubre pasado, el general Westmoreland lo definió como sigue: «Estamos luchando en Vietnam para demostrar que la guerra de guerrillas no es rentable». ¿Para demostrárselo a quién? ¿A los propios vietnamitas? Esto último resultaría bastante sorprendente: ¿es necesario sacrificar tantas vidas humanas y tanto dinero para convencer a toda una nación de campesinos pobres que luchan a miles de kilómetros de San Francisco? Y, sobre todo, ¿qué necesidad había de atacarla, de empujarla a la guerra, para poder después devastarla y mostrar la futilidad del combate, cuando los intereses de las grandes compañías en el país son prácticamente insignificantes? La frase de Westmoreland —al igual que la de Rusk citada más arriba— está incompleta. A quien se quiere probar que la guerra no es rentable es a los demás. A todas las naciones explotadas y oprimidas que podrían considerar la posibilidad de liberarse del yugo yanqui con una guerra popular dirigida, en primer lugar, contra su propio pseudogobierno y contra los «compradores» sostenidos por el ejército nacional, luego contra las «fuerzas especiales» de los Estados Unidos y, por último, contra sus soldados rasos. Es decir, ante todo, a América Latina. Y, en un sentido amplio, a todo el Tercer Mundo. A Guevara, que proclamaba la necesidad de «Crear muchos Vietnams», el gobierno estadounidense respondió de la siguiente manera: «Los aplastaremos todos, como hago con éste». En otras palabras, su guerra tiene, ante todo, valor de ejemplo. Un ejemplo para tres continentes y tal vez para cuatro. Después de todo, Grecia también es una nación de campesinos; acaba de instaurar una dictadura y más vale prevenir: sumisión o liquidación radical. Por ello, ese genocidio ejemplar se dirige a toda la humanidad; con esta advertencia, el 6 por ciento de la humanidad espera, sin demasiadas pérdidas, llegar a controlar al 94 por ciento restante. Por supuesto, sería preferible —por cuestiones de propaganda— que los vietnamitas se sometieran antes de ser aniquilados. Aunque tampoco es seguro, porque si Vietnam desapareciera del mapa la situación sería aun más clara: podría considerarse la sumisión se debe a alguna flaqueza evitable; pero, si esos campesinos no flaquean ni un solo segundo y el resultado de su heroísmo es una muerte inevitable, las guerrillas que podrían surgir en un futuro se desalentarán con mayor seguridad. Llegados a este punto de nuestra reflexión, tres hechos han quedado establecidos: lo que quiere el gobierno de los Estados Unidos es una base y un ejemplo. Con el fin de alcanzar su primer objetivo, puede, sin otra dificultad que la resistencia vietnamita, aniquilar a todo un pueblo y establecer la pax americana en un Vietnam desierto. Con el fin de alcanzar el segundo, debe llevar a cabo —al menos parcialmente— ese exterminio.


V

13 Las declaraciones de los estadistas estadounidenses no son tan francas como las realizadas por Hitler en su día. Pero porque no es indispensable: basta que hablen los hechos; los discursos que los acompañan, ad usum internum, sólo serán creídos por el pueblo estadounidense; el resto del mundo lo entiende perfectamente: los gobiernos cómplices se mantienen en silencio, los demás denuncian el genocidio, pero resulta fácil responderles que nunca se ha tratado de genocidio y que con acusaciones infundadas lo único que hacen es dejar patente su toma de partido. Dice el gobierno de los Estados Unidos que, en realidad, lo único que ha hecho es proponer a los vietnamitas —del Norte y del Sur— la siguiente opción: o detenéis la agresión o acabaremos con vosotros. Resulta superfluo señalar que esta proposición es absurda, puesto que la agresión es estadounidense y, por consiguiente, sólo los estadounidenses pueden ponerle término. Y este absurdo es premeditado: es muy hábil formular, sin que lo parezca, una exigencia que los vietnamitas no pueden satisfacer. Así se sigue dueño de decidir el final de los combates. Pero, aunque tradujéramos: declaraos vencidos u «os devolveremos a la Edad de Piedra», no es menos cierto que el segundo término de la alternativa es el genocidio. Se ha dicho: genocidio, sí, pero condicional. ¿Es esto jurídicamente válido? ¿Es siquiera concebible?

14 Si el argumento tuviera algún sentido jurídico, el gobierno de los Estados Unidos escaparía por muy poco a la acusación de genocidio. Pero tal y como señaló el presidente de la comisión jurídica, el abogado Matarasso, el Derecho, al distinguir la intención del motivo, no deja margen para esa escapatoria: un genocidio —sobre todo lleva varios años perpetrándose— puede estar perfectamente motivado por un chantaje. Bien se puede declarar que se le pondrá fin si la víctima se somete, son ésas motivaciones y el acto no deja de ser —sin restricción posible— un genocidio por la intención. En particular cuando —como en el caso que nos atañe— una parte del grupo ha sido aniquilada para empujar al resto a la sumisión.

15 Pero analicemos con mayor detenimiento y veamos cuáles son los términos de la alternativa. En el Sur, he aquí la elección: se queman pueblos, se somete a la población a bombardeos masivos y deliberadamente letales, se disparan contra el ganado, se destruyen la vegetación con defoliantes, se rocían los cultivos con productos tóxicos, se utilizan ametralladoras al azar y en todas partes, se mata, se viola y se saquea: eso es genocidio, en el sentido más estricto de la palabra; dicho de otra forma: la exterminación masiva. ¿Cuál es el otro término de la alternativa? ¿Qué debe hacer la población vietnamita para escapar a esa muerte atroz? Unirse a las fuerzas armadas de los Estados Unidos o de Saigón y dejar que la encierren en aldeas estratégicas o en esas aldeas que prometen una nueva vida y que no se diferencian de las primeras más que por el nombre. En definitiva, en campos de concentración. Sabemos cómo son esos campos por medio de numerosos testimonios. Están rodeados de alambradas; las necesidades básicas no están cubiertas: desnutrición, falta total de higiene; los prisioneros se hacinan en tiendas o en reductos exiguos y asfixiantes; las estructuras sociales están destruidas: separan a los maridos de sus mujeres y a las madres de sus hijos, con lo que la vida familiar —tan sagrada para los vietnamitas— deja de existir; como están desestructuradas las familias, baja la natalidad; queda suprimida cualquier posibilidad de vida religiosa o cultural. Incluso el trabajo —el trabajo para reproducir la propia vida y la de los suyos— se les niega. Estos desdichados ni siquiera son esclavos: la condición servil no impidió una profunda cultura en los negros de los Estados Unidos; aquí el grupo ha quedado reducido a la condición de apéndice, a la peor vida vegetativa. Cuando quiere escapar de esa situación, los vínculos que pueden establecerse entre esos hombres atomizados y consumidos por el odio sólo pueden ser políticos: se agrupan clandestinamente para resistir. El enemigo lo adivina. Resultado: vuelven a peinar esos mismos campos hasta dos y tres veces: ni siquiera allí la seguridad está garantizada y las fuerzas atomizadoras desempeñan su labor sin descanso. Si por casualidad liberan a una familia decapitada, unos niños con una hermana mayor, o una madre joven, éstos pasan a engrosar el subproletariado de las grandes ciudades: la hermana mayor o la madre, sin fuente de ingresos y con varias bocas que alimentar, sufren una humillación indecible al verse forzadas a prostituirse y vender sus servicios al enemigo. Lo que acabo de describir y que representa en el Sur la situación de un tercio de la población, según el testimonio de Donald Duncan, no es más que otra clase de genocidio, igualmente condenado por el Convenio de 1948:

«b) Lesión grave a la integridad física o mental de los miembros del grupo.
c) Sometimiento intencional del grupo a condiciones de existencia que hayan de acarrear su destrucción física total o parcial.
d) Medidas destinadas a impedir los nacimientos en el seno del grupo.
e) Traslado por fuerza de niños…»

16 En otros términos, no es cierto que tengan que elegir entre la muerte o la sumisión. Porque la misma sumisión, en tales circunstancias, es un genocidio. Digamos que hay que elegir entre la muerte violenta inmediata y la muerte lenta producto de una degradación física y mental. O más bien que no hay elección, no hay condiciones que cumplir: el azar de una «operación», a veces el terror pánico, es lo que decide el tipo de genocidio que va a padecer cada uno.

¿Hay alguna diferencia en el Norte?

17 Por un lado, está el exterminio: no sólo el riesgo de muerte cotidiano, sino también la destrucción sistemática de las infraestructuras económicas: desde los diques hasta las fábricas de los que «no hay que dejar piedra sobre piedra». Ataques deliberados contra la población civil y, en particular, rural. Destrucción de hospitales, escuelas, lugares de culto; esfuerzo sostenido para abolir los logros de veinte años de socialismo. ¿Es sólo para aterrorizar a la población? Pero eso sólo puede conseguirse mediante el exterminio cotidiano de un número cada vez mayor del grupo. Y, además, ese mismo terrorismo es un genocidio en sus consecuencias psicosociales: ¿quién sabe si, sobre todo en el caso de los niños, no dará lugar a trastornos mentales que perjudicarán a largo plazo, si no para siempre, su integridad?

18 El otro término es la capitulación. Significa que aceptan que su país se parta en dos y que la dictadura de los estadounidenses, directamente o por personas interpuestas, se imponga a sus compatriotas, o a miembros de su familia de los que se han visto separados por la guerra. ¿Pondrá fin a la guerra esta humillación intolerable? Resulta difícil de creer: el FLN y la República Democrática de Vietnam (RDV), a pesar de estar fraternalmente unidos, tienen una estrategia y una táctica diferentes porque su situación en la guerra es distinta. Si el FLN continuase la lucha, los bombarderos estadounidenses, a pesar de la capitulación de la RDV, continuarían destruyéndola. Pero si la guerra cesase, sabemos —por declaraciones oficiales— que los Estados Unidos se mostrarían generosamente dispuestos a ofrecer montañas de dólares para la reconstrucción de la RDV. Eso significa de modo muy preciso que destruirían, con inversiones privadas o con préstamos condicionales, toda la base económica del socialismo. Y también eso es un genocidio: parten en trozos un país soberano, ocupan una de las dos mitades y hacen que en ella reine el terror y en la otra hacen que la presión económica arruine la empresa que tan cara les ha costado y, por medio de inversiones calculadas, se mantiene sometido. El grupo nacional «Vietnam» no desaparece en términos físicos, pero sí deja de existir: lo han suprimido económica, política y culturalmente.

19 Tanto en el Norte como en el Sur, solo se puede elegir entre dos tipos de abolición: la muerte colectiva o la disgregación. Lo más significativo es que el gobierno estadounidense ha podido experimentar la resistencia del FNL y de la RDV: sabe que la destrucción, a menos que sea total, será ineficaz. El Frente es más poderoso que nunca; Vietnam del Norte es inquebrantable. Por este mismo motivo, el exterminio calculado del pueblo vietnamita no puede tener como objetivo su capitulación: le ofrecen la paz de los valientes, sabiendo que no la aceptará; y esta alternativa, que no es más que una fachada, esconde la verdadera intención del imperialismo, la de llegar progresivamente al nivel supremo en la escalada del conflicto, es decir, al genocidio total. El gobierno de los Estados Unidos intentará objetar que, si hubiera querido, habría podido alcanzarlo inmediatamente y limpiar Vietnam de todos los vietnamitas mediante una Blitzkrieg. Pero, además de que ese exterminio supone la puesta en marcha de un dispositivo complicado —y, por ejemplo, la creación y la libre disposición en Tailandia de bases aéreas estadounidenses que reduzcan en cinco mil kilómetros el recorrido de los bombarderos— el objetivo esencial de la «escalada» era y sigue siendo el de preparar a la opinión burguesa para el genocidio. Desde este punto de vista, los estadounidenses han tenido un éxito indiscutible: los repetidos y sistemáticos bombardeos de los populosos barrios de Haifong y Hanói, que habrían levantado hace dos años violentas protestas, tienen lugar hoy en una especie de indiferencia general que tiene más relación con el tétanos que con la apatía. Y la jugada ya está hecha: la opinión pública toma por una presión incrementada lenta y continuamente, lo que es en realidad una preparación de las conciencias para el genocidio final. ¿Es posible ese genocidio? No. Pero eso depende de los vietnamitas y sólo de ellos, de su valor, de la admirable eficacia de sus organizaciones. En lo que respecta al gobierno de los Estados Unidos, nadie puede dispensarlo de su crimen so pretexto de que la inteligencia y el heroísmo de la víctima permiten limitar sus efectos. En conclusión: frente a una guerra popular, producto de nuestra época, respuesta a la agresión imperialista y reivindicación de la soberanía de un pueblo consciente de su unidad, dos actitudes son posibles: el agresor se retira, firma la paz al advertir que toda una nación se levanta contra él; o bien, consciente de la ineficacia de la estrategia clásica, recurre, si puede hacerlo sin lesionar sus intereses, al exterminio puro y simple. No hay otra opción; pero esa opción, al menos, es siempre posible. Puesto que las fuerzas armadas de los Estados Unidos se incrustan en Vietnam, puesto que intensifican bombardeos y matanzas, puesto que intentan someter a Laos y planean invadir Camboya cuando pueden retirarse, no cabe duda de que el gobierno de los Estados Unidos, a pesar de sus hipócritas negaciones, ha optado por el genocidio.


VI

20 La intención se desprende de los hechos. Y, como ha dicho Alí Aybar, es necesariamente premeditada. Es posible que, en otras épocas, se haya cometido genocidio bruscamente, en un arrebato de pasión, en el curso de luchas tribales o feudales. El genocidio antiguerrilla, producto de nuestra época, entraña una organización, unas bases y, por lo tanto, unas complicidades (pues tiene lugar a distancia), un presupuesto apropiado: es necesario, pues, haber reflexionado sobre él y haberlo planeado. ¿Significa esto que sus autores tienen clara conciencia de su voluntad? Es imposible afirmarlo: habría que sondear las entrañas, y la mala fe puritana hace milagros. Tal vez algunos colaboradores del Departamento de Estado estén tan acostumbrados a mentirse que todavía logran imaginar que desean el bien de Vietnam. Tras las recientes declaraciones de su portavoz, podemos pensar que esos falsos ingenuos son cada vez menos numerosos: nos defendemos a nosotros mismos; aunque nos lo rogase el gobierno de Saigón, no abandonaríamos Vietnam... De todas formas, no debemos preocuparnos por este juego del escondite psicológico. La verdad se encuentra sobre el terreno, en el racismo de los combatientes estadounidenses. Sin duda, el racismo —antinegro, antiasiático, antimexicano— es un factor fundamental que tiene un origen profundo y que existía, de forma latente o manifiesta, mucho antes del conflicto vietnamita. Prueba de ello es que el gobierno estadounidense rechazó la ratificación del Convenio contra el genocidio: lo que no quiere decir que desde 1948 tuviera la intención de exterminar a los pueblos, sino —a partir de sus propias declaraciones— que tal compromiso habría entrado en conflicto con la legislación interna de numerosos Estados federales. Dicho de otra forma —porque todo concuerda—, los dirigentes actuales creen tener las manos libres en Vietnam porque sus predecesores quisieron tratar con deferencia el racismo antinegro de los blancos del Sur. En cualquier caso, desde 1965, el racismo de los soldados yanquis, desde Saigón hasta el paralelo 17, se exacerba: los jóvenes estadounidenses torturan, recurren sin repugnancia a la aplicación de descargas eléctricas con los teléfonos de campaña, disparan contra mujeres desarmadas por el puro placer de dar en la diana, patean a los heridos vietnamitas en los testículos, cortan las orejas a los muertos para usarlas como trofeos. Y los oficiales son peores: un general se jactaba —ante un francés que ha testificado ante el Tribunal — de dar caza a los vietcongs desde el helicóptero y de dispararles con el fusil en los arrozales. Por supuesto que no se trataba de combatientes del FLN, que saben protegerse, sino de campesinos que cultivaban arroz. «Vietcong» y vietnamita se confunden cada vez más en esas mentes confusas. Comúnmente se dice: «El único vietnamita bueno es el vietnamita muerto». O, lo que es lo mismo, pero a la inversa: «Todo vietnamita muerto es un vietcong». Unos campesinos se preparan para cosechar el arroz al sur del paralelo 17. Llegan los soldados estadounidenses, que incendian sus casas y quieren trasladarlos a una aldea estratégica. Los campesinos protestan. ¿Qué otra cosa pueden hacer desarmados ante esos marcianos? Responden: «El arroz es hermoso; queremos quedarnos para comer nuestro arroz». Nada más; y eso basta para exasperar a los jóvenes yanquis: «Los vietcongs os han metido esas ideas en la cabeza. Ellos os han enseñado a resistir». Tal es el extravío de los soldados que toman por violencia «subversiva» esas mínimas reclamaciones suscitadas por su propia violencia. En el origen se encuentra, sin duda, una decepción: venían a salvar Vietnam, a liberarlo de los agresores comunistas, y no tardan en darse cuenta de que los vietnamitas no los quieren; del favorecedor papel de libertadores pasan al de ocupantes. Es algo así como el inicio de una toma de conciencia: no quieren saber nada de nosotros, no tenemos nada que hacer aquí. Pero el cuestionamiento no va más allá: se enfadan y piensan sin más que un vietnamita es, por definición, un sospechoso. Y eso es cierto, desde el punto de vista de los neocolonialistas: comprenden vagamente que, en la guerra popular, los civiles son los únicos enemigos visibles. Entonces empiezan a detestarlos; el racismo se encarga del resto: descubren con rabiosa alegría que están allí para matar a los hombres que se pretendía salvar. No hay ni uno solo que no sea un comunista en potencia: la prueba está en que odian a los yanquis. A partir de ahí, encontramos en esas almas oscuras y teledirigidas la verdad de la guerra de Vietnam: coincide con las declaraciones de Hitler. Hitler eliminaba a los judíos porque eran judíos. Las fuerzas armadas de los Estados Unidos torturan y matan a los hombres, mujeres y niños de Vietnam porque son vietnamitas. Así, al margen de las mentiras y las precauciones verbales del gobierno, el espíritu del genocidio está en la mente de los soldados. Y es su manera de vivir la situación de genocidio a la que los ha arrojado el gobierno. El testigo Peter Martinsen, un joven estudiante de veintitrés años que «había interrogado» durante diez meses a prisioneros y que ya no podía soportar sus recuerdos, nos contó: «Soy un estadounidense medio, me parezco a cualquier estudiante y, aquí estoy, convertido en un criminal de guerra». Y no se equivocaba cuando añadió: «Cualquiera en mi lugar habría actuado como yo». Su único error era el de atribuir sus degradantes crímenes a la influencia de la guerra en general. No: no de la guerra abstracta y no situada, sino de esta guerra, sostenida por la mayor potencia existente contra un pueblo de campesinos pobres, y que se hace vivir por quienes la causan como la única relación posible entre un país hiperindustrializado y uno subdesarrollado, es decir, como una relación de genocidio que se expresa a través del racismo. La única relación, a menos que corten por lo sano y abandonen el país.

21 La guerra total supone cierto equilibrio de fuerzas, cierta reciprocidad. Las guerras coloniales se libraban sin reciprocidad, pero el interés colonial limitaba los genocidios. El genocidio presente, último resultado del desarrollo desigual de las sociedades, es la guerra total llevada hasta las últimas consecuencias por una sola parte y sin la menor reciprocidad.

22 El gobierno de los Estados Unidos no es culpable por haber inventado el genocidio moderno, ni siquiera de haberlo seleccionado, de haberlo elegido entre otras muchas respuestas posibles y eficaces contra la guerrilla. No es culpable, por ejemplo, de haberle dado preferencia por motivos estratégicos o económicos. De hecho, el genocidio se presenta como la única reacción posible a la insurrección de todo un pueblo contra sus opresores. El gobierno de los Estados Unidos es culpable de haber preferido, de seguir prefiriendo, una política de agresión y de guerra que apunta al genocidio total en vez de una política de paz, la única alternativa posible, porque habría implicado necesariamente la reconsideración de los objetivos principales impuestos por las grandes compañías imperialistas a través de sus grupos de presión. Es culpable de continuar y recrudecer la guerra, por más que todos y cada uno de sus miembros comprendan mejor cada día, a través de los informes realizados por los jefes militares, que el único modo de vencer es «liberar» a Vietnam de todos los vietnamitas. Es culpable, mediante ardides, evasivas, mentiras y autoengaños, de adentrarse cada minuto un poco más, a pesar de las enseñanzas de esta experiencia única e insoportable, por una senda que lo lleva al punto de no retorno. Es culpable, según su propia confesión, de librar a sabiendas esta guerra ejemplar para hacer del genocidio un desafío y una amenaza para todos los pueblos. Hemos visto que uno de los factores de la guerra total fue el incremento constante del número y la velocidad de los medios de transporte: desde 1914 la guerra ya no puede permanecer localizada, es necesario que se extienda al mundo. En 1967 el proceso se intensifica, los lazos del One World, el universo al que los Estados Unidos quieren imponer su hegemonía, no dejan de estrecharse. Por este motivo, del que el gobierno estadounidense es perfectamente consciente, el genocidio actual —en respuesta a la guerra popular— se concibe y perpetra en Vietnam no contra los vietnamitas, sino contra toda la humanidad. Cuando cae un campesino en su arrozal, segado por una ametralladora, todos somos acribillados en su persona. Por ello, los vietnamitas luchan por todos los hombres y las fuerzas estadounidenses contra todos. En absoluto en un sentido figurado, ni en abstracto. Y no sólo porque el genocidio constituye en Vietnam un crimen universalmente condenado por el Derecho de Gentes, sino porque, poco a poco, el chantaje genocida se extiende a todo el género humano, apoyándose en el chantaje de la guerra atómica, es decir, en el absoluto de la guerra total; y porque ese crimen, cometido cada día ante nuestros ojos, convierte a todos los que no lo denuncian en cómplices de quienes lo cometen y, para someternos mejor, empieza por degradarnos. En este sentido, el genocidio imperialista sólo puede radicalizarse, porque el grupo al que quiere abarcar y aterrorizar, a través de la nación vietnamita, es el grupo humano en su totalidad.
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